22 promesses non tenues sur 35

Dans son projet présenté en 2020 devant le CSA (ex-ARCOM), Delphine Ernotte avait présenté 35 promesses qu'elle avait librement choisi de formuler.

  • Cinq ans plus tard, l'analyse de ces promesses, basée sur l'ensemble des rapports officiels, révèle qu'au moins 22 d'entre elles n'ont pas été tenues, ce qui est considérable alors que leur réalisation ne dépendait que d'elle.
  • Plus préoccupant encore, ces engagements non respectés touchent des enjeux stratégiques pour l'avenir de France Télévisions : la transformation numérique, la stratégie jeunesse, la transparence de l'action, la puissance de l'information, la représentation de tous les publics et la capacité à coopérer avec les autres entreprises de l'audiovisuel public.

Face à ces promesses non tenues, quelle est la réponse de Delphine Ernotte ?

  • « Réconcilier » est le titre de son nouveau projet, dont le contenu a été dévoilé par Contexte.
  • Cette fois c’est manifestement avec ses propres promesses non tenues durant dix ans que Delphine Ernotte cherche à se réconcilier.
  • Sa promesse d'une « nouvelle horizontalité » en remplacement d'un « management jusqu'ici très vertical » sonne comme l'aveu d'une décennie d'erreurs managériales — d'un groupe qu'elle-même dirigeait...
  • Qui pourrait croire qu'un troisième mandat — où Delphine Ernotte n'aurait de fait plus vraiment de comptes à rendre — permettrait de mieux honorer ces engagements qui ne sont qu'un énième changement de discours ? Franchement...

🔎 Voici une analyse dans le détail de chacune des 22 promesses faites devant le CSA il y a 5 ans, non tenues par Delphine Ernotte

💡 Créer une Direction de l'Engagement transversale au groupe (#2)

  • Aucune trace de la création de cette direction dans l'organigramme ou les rapports officiels. Cette structure n'est pas mentionnée dans les bilans de l'ARCOM.

💡 Dédier chaque année à un grand thème autour des valeurs de la République (#3)

  • Bien que des programmes sur ces thèmes existent, l'engagement de structurer chaque année autour d'une valeur spécifique n'a pas été formalisé ni communiqué.

💡 Engager la refonte des magazines politiques (#6)

  • France Télévisions a effectivement lancé depuis 5 ans plusieurs nouveaux formats politiques, avec une succession de programmes “L'Evènement”, "Vous avez la parole" "L'Émission politique”… dont aucun n’a réussi à imposer sa marque.
  • Qui peut aujourd’hui nommer l’émission politique de référence sur France Télévisions ?
  • Dans son nouveau projet "Réconcilier" Delphine Ernotte reconnaît implicitement les limites de sa promesse précédente en annonçant que "France Télévisions s'engage à prendre langue avec l'ensemble des formations politiques pour étudier, dans le respect de son indépendance éditoriale, les conditions du retour d'un format régulier sur ses antennes de débat pluraliste entre personnalités politiques" .

💡 Faire de franceinfo la première offre d'information sur tous les écrans et 100% accessible (#7)

  • Franceinfo reste en linéaire la 4e chaîne d'information en continu, avec une audience limitée de 0,8 % qui n'a jamais décollé. Elle est largement distancée par ses 3 concurrentes.
  • Le rapport de l'IGF note que nous sommes loin des ambitions initiales et préconise de repenser la ligne éditoriale de franceinfo. Ce n'est pas une question de moyens, mais d'organisation : l'obstacle principal est l'absence de gouvernance claire et unifiée.
  • Dans son nouveau projet, Delphine Ernotte reconnaît que "la place de la chaîne n'est pas aujourd'hui à la hauteur des ambitions du premier groupe audiovisuel français”

💡 Transformer France 3 en un réseau de 13 offres 100% régionales, en partenariat avec France Bleu et en s’alliant avec la PQR et les chaînes locales (#8)

  • L'indicateur de régionalisation montre qu'en 2023, le volume horaire quotidien de programmes régionaux sur France 3 n'était que de 3h22, loin de l'objectif de 6h00 fixé pour 2022 et 2023, et encore plus loin d'une offre "100% régionale".
  • Contrairement à France Bleu devenue "ICI" en 2025, France 3 a conservé son nom.
  • Aujourd’hui Delphine Ernotte promet encore une fois encore de "déparisianiser l'actualité".

💡 Ancrer le « réflexe outre-mer » sur toutes les antennes (#9)

  • Selon les rapports de l'ARCOM, la représentation des ultramarins à l'écran a considérablement diminué depuis la disparition de France Ô, passant de 10 % à seulement 3 % en 2021, puis à 1 % en 2022.
  • La diversité thématique s'est également appauvrie, se limitant principalement aux fictions et documentaires de voyage, au détriment de l'actualité, de l'histoire et de la culture ultramarine.

💡 Lancer un plan d’actions pour la diversité et l’inclusion assorti d’objectifs chiffrés de progression de la représentation de la diversité (#10)

  • Dans son nouveau projet, Delphine Ernotte reconnaît que "les études continuent à mettre en évidence un déficit de fond (qui n'est pas propre à France Télévisions), dans la représentation des catégories populaires" .
  • Elle admet que la télévision est "trop centrée dans les métropoles, trop élitaire dans ses codes et sa sociologie" et “peine aujourd’hui à donner la parole aux hommes et aux femmes éloignés de la décision publique et de l’arène citoyenne, alimentant la défiance et l’éloignement.”

💡 Créer avec l'INA un Campus des médias (#12)

  • Aucun Campus des médias n'a été formellement créé.
  • Delphine Ernotte mentionne uniquement une association à la « Classe alpha », une initiative distincte lancée par l'Institut national de l'audiovisuel (INA), qui ne correspond pas au Campus promis.

💡 Pérenniser l'objectif d'équilibre des comptes (#13)

  • L'équilibre des comptes n'a pas été maintenu. Le groupe a connu des déficits importants et la situation financière s'est dégradée.
  • Les conclusions du dernier rapport de l’IGF sont sans appel : sans des changements profonds, le risque est que France Télévisions ne puisse pas financer sa transformation numérique tout en maintenant la qualité de ses programmes.
  • L'IGF identifie un risque de déficit de financement de 145 millions d'euros à horizon 2028…. et lorsque l’IGF pose ce genre de diagnostic, on peut parler de risque majeur.
  • Le nouveau projet « Réconcilier » évoque pudiquement une « performance opérationnelle à retrouver », un aveu à peine voilé des difficultés financières actuelles. Elle propose désormais un « plan d'économies » et une « rationalisation des coûts » — des mesures qui n'auraient sans doute pas dû attendre 10 ans.

💡 Rendre compte de l'utilisation des deniers publics (#14)

  • Les comptes de France Télévisions sont présentés dans un document minimaliste de 5 pages — ce qui est dérisoire pour une entreprise au chiffre d'affaires de 3 milliards — via une publication qui n'est même pas téléchargeable directement et hébergé sur une plateforme américaine.
  • L'opacité est totale sur l'utilisation des budgets par l'entreprise publique. Le dernier rapport de l'IGF pointe d'ailleurs l'absence de culture d'efficience et de comptabilité analytique.
  • L'Arcom note plus sobrement que « le suivi du coût analytique des programmes et le contrôle budgétaire mériteraient d'être renforcés ».
  • Cette défaillance est à l'origine de tous les autres manquements, car elle compromet la crédibilité de l'action du groupe et de sa présidente. Les résultats présentés comme positifs restent suspects face à ce qui s'apparente à un enfumage systémique.

💡 Renouveler périodiquement la Consultation citoyenne (#15)

💡 Renforcer l'expérience personnalisée et éditorialisée sur france.tv, centrée sur la découverte des talents et la diversité des programmes (#16)

  • Bien que prévue dès 2015, la personnalisation poussée n'a été véritablement mise en œuvre que tardivement dans le mandat. En 2024, France Télévisions indique encore vouloir "renforcer la personnalisation, grâce à une déclaration de centres d'intérêt pour personnaliser la page d'accueil et les communications", suggérant que cette fonctionnalité n'est pas encore pleinement déployée.
  • Selon le rapport de l'IGF, le "déploiement effectif d'un algorithme de recommandation intégrant les enjeux de service public" n'est prévu qu'en 2025, soit à la fin de la période couverte par l'engagement de Delphine Ernotte, montrant un retard dans la mise en œuvre concrète de certains aspects de la promesse.

💡 Lancer France Médias +, plateforme d'agrégation de l'ensemble des offres vidéo et audio de l'audiovisuel public (#17)

  • Le projet France Médias+ n'a jamais vu le jour, et aucune explication n'a été fournie quant à son abandon.
  • L'ARCOM constate par ailleurs que "les autres grands objectifs de coopération entre les trois sociétés ne sont pas atteints à l'issue des COM". Les rédactions des différents médias de franceinfo fonctionnent "toujours, à l'heure actuelle, de façon séparée (site internet, radio, télévision)"
  • La mutualisation des achats et des frais généraux "demeure limitée au regard du budget cumulé des trois groupes"

💡 Placer le respect de la vie privée au cœur de la stratégie d'éditeur numérique, en rendant publique une version actualisée de la charte de protection des données (#18)

  • Plus qu’un engagement la publication d’une “Charte de protection des données” est une contrainte légale issue notamment du RGPD.
  • La communication de cette charte par France Télévision laisse vraiment à désirer. Difficile de trouver un lien pour la télécharger, la page de communication publique sur le sujet renvoie vers une vidéo YouTube. Cette opacité se distingue des autres acteurs du marché sur le sujet, Radio France, Arte, TF1, M6….
  • Contrairement à la promesse de mettre à disposition "des outils pédagogiques expliquant les modes de fonctionnement de nos algorithmes" peu d'initiatives de ce type ont été documentées ou mises en avant par le groupe.

💡 Poursuivre la modernisation de l'ensemble des moyens de fabrication, sur le modèle du hub de Vendargues (#20)

  • La détérioration continue du résultat d'exploitation de France TV studio (-7,7 millions en 2023), soulève des questions sur l'efficience économique de ces actions de modernisation.
  • Les moyens de production de France Télévisions restent moins compétitifs que ceux du secteur privé.
  • Résultat, dans son dernier rapport l’ARCOM, pointe une sous-utilisation des moyens de productions internes. Bien que les accords avec les organisations professionnelles permettent à France Télévisions de produire jusqu'à 17,5% des œuvres qu'elle diffuse, la part des œuvres produites par le groupe est inférieur à 13%.

💡 Lancer un fonds d'amorçage tourné vers les start-up (#21)

  • France Télévisions n’a pas créé ce fonds d’amorçage au sens strict (fonds d’investissement en capital-risque).
  • L’entreprise propose simplement, comme toutes les grandes entreprises un dispositif souvent peu utile d’open innovation et des partenariats pour accompagner les start-ups innovantes.

💡Lancer un réseau social européen dédié au débat citoyen (#23)

  • Ce projet n'a jamais vu le jour, et aucune explication n'a été fournie quant à son abandon.
  • En tant que présidente de France Télévisions et de l'UER (Union Européenne de Radio-Télévision), Delphine Ernotte occupait pourtant une position idéale pour concrétiser ce projet.
  • Elle a d'ailleurs dénoncé à maintes reprises les dérives des réseaux sociaux traditionnels — désinformation, polarisation, perte de confiance dans les médias — et appelé à une initiative européenne structurante dans ce domaine.

💡 Contribuer activement au développement de la plateforme européenne d'ARTE (#24)

  • La promesse a été en partie tenue, mais très tardivement. Le moins qu’on puisse dire et que la démarche n’a pas été très active.
  • Ce n’est que que le 14 novembre 2024 que les programmes d’Arte ont rejoint la plateforme de France.TV, soit une semaine après leur reprise sur TF1+ et des années après MyCanal

💡 Doubler les investissements de programmes dédiés aux moins de 35 ans en direction des enfants, des adolescents et des jeunes adultes pour atteindre au moins 100 millions d'euros par an (#26)

  • Aucune indication dans les rapports et auditions ne confirme que les investissements aient été doublés pour atteindre 100 millions d'euros par an. Les outils de suivi budgétaire publics de France Télévisions ne permettent de vérifier la réalité du montant de ces investissements.
  • Au travers de ces affirmations globales, une ambiguïté permanente est maintenue sur tout ce qui a trait à la stratégie, aux moyens et aux résultats respectifs sur des cibles aussi diamétralement distinctes.
  • Une chose est certaine, les audiences jeunesse sont en forte baisse. Le groupe atteint une couverture de 45 % en 2023 sur les moins de 15 ans, nettement en deçà de l’objectif du COM contre 60% 2019.
  • L'annonce récente par France Télévisions d'un triplement du budget sur cinq ans dans le cadre du plan « France 2030 » suggère que l'objectif initial a été révisé à la hausse, mais sans précision sur les montants exacts ni sur l'état d'avancement de cette nouvelle ambition.

💡 Renouer avec les grands divertissements en direct et en public et favoriser l'éclosion de nouveaux formats originaux français de flux (#31)

  • L'engagement a été partiellement tenu, avec un renouvellement de l'offre de jeux et de divertissements, mais sans véritable retour des grands divertissements en direct ni création significative de formats originaux français à rayonnement international.
  • À l'exception de quelques créations comme « Qui restera dans la lumière ? », « Duels en Famille » et « Chacun son tour » qui n’ont pour le moment pas brillé à l’export, la majorité des nouveaux programmes de flux mis à l’antenne depuis 5 ans sont des formats étrangers :
    Drag Race France (format américian : RuPaul's Drag Race, produit par Endemol)
    100% logique (format britannique : The 1% Club, produite par BBC Studios France)
    Mot de passe (format américain : Password créé en 1961, produit par Cyril Féraud)
    The Floor, à la conquête du sol (format américain : The Floor, produit par Arthur)
    Tout le monde a son mot à dire (format britannique : Alphabetical, produite par Banijay)
  • Heureusement pour les nouveaux formats, nous pourrons compter cet été sur le grand retour d’“Intervilles”….

💡 Consacrer une première partie de soirée chaque semaine à la diffusion du spectacle vivant sous toutes ses formes, en mobilisant toutes les chaînes (#32)

  • La création de Culturebox sur France 4 a permis de remplir les quotas et engagements sur la production et promotion du spectacle vivant. Delphine Ernotte ayant décidé de ne plus mesurer l’audience de cette chaîne, il est difficile de mesurer l’impact réel de cette programmation culturelle qui semble en fait jouer le rôle d’alibi que de gheto culturel.
  • L'engagement spécifique d'un rendez-vous hebdomadaire en première partie de soirée sur toutes les chaînes ne semble pas avoir été concrétisé.
  • Bien au contraire, l'Arcom note "une diminution de la part du documentaire et du spectacle vivant sur France 2, France 3 et France 5" et exprime son inquiétude quant à une possible "disparition progressive des spectacles sur les chaînes historiques" au profit de Culturebox.
  • Les contenus culturels souffrent d'une "sous-performance" d'audience, "dont la part dans la consommation est nettement inférieure à son poids dans la programmation"

💡 Proposer sur chaque chaîne au moins un format régulier dédié aux livres et à la littérature, ouvert à tous les genres (#33)

  • France 5 reste la seule chaîne à répondre à cette promesse avec “La Grande Librairie” et sa déclinaison en format court “La Petite Librairie”.
  • Depuis la suppression du rendez-vous quotidien "Un livre un jour" sur France 3 en 2020, les autres chaînes ne proposent plus de formats réguliers dédiés aux livres, hormis quelques chroniques dans les talk-shows
  • Quant à la diversité des genres, certains formats comme la BD ou les mangas sont totalement absents de la programmation

💡 Il faut ajouter à cela la promesse transversale non tenue de la transparence qui figurait dans les deux derniers projets de Delphine Ernotte (#0)

  • Dans son projet 2015, elle s'engageait pour « l'exemplarité, la transparence et la participation du public » et affirmait que « l'ensemble des comptes et des dépenses doivent être accessibles ».
  • Elle promettait que « cette transparence ne doit pas s'appliquer uniquement à la Présidence mais à l'ensemble des décisions et des personnes ».
  • En 2020 : « Le temps est aujourd'hui à l'humilité, à la transparence et à la traçabilité de l'information. Il nous faut ouvrir les portes et les fenêtres... »
  • L'opacité restera pourtant la marque de fabrique de ces 10 années à la tête de France Télévisions.

👉 Liste des sources utilisées

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